La COVID-19 et la force majeure au Québec : questions incontournables, incidences et conseils pratiques
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Le 13 mars, le gouvernement du Québec a déclaré l’état d’urgence sanitaire en raison de la pandémie de COVID-19. Depuis, on recense des cas d’infection à l’échelle du Canada et partout dans le monde. Le gouvernement fédéral et les gouvernements de l’ensemble des provinces et territoires du Canada ont tous annoncé l’état d’urgence sanitaire en lien avec la COVID-19. Le 25 mars, le gouvernement du Québec a élargi la portée des mesures d’urgence en émettant un décret restreignant l’activité économique aux services essentiels et prioritaires uniquement, et ce, jusqu’au 13 avril. Cette mise à jour axée sur le Québec explique dans quelle mesure (le cas échéant) et à quel moment une partie à un contrat peut se voir libérée de ses obligations contractuelles en faisant valoir la force majeure, en droit québécois, en raison de la pandémie de COVID-19.
Pour de plus amples renseignements concernant l’application ailleurs au Canada d’une clause de force majeure dans le contexte d’une perturbation des activités en raison de la COVID-19, lisez notre bulletin ici (en anglais).
Ce que vous devez savoir
- La force majeure est reconnue en droit en vertu du Code civil du Québec (C.c.Q.), sauf si les parties ont convenu d’exclure, de modifier ou de limiter son application.
- La notion de force majeure est interprétée de façon restrictive au Québec. Bien que la force majeure soit un principe général de droit au Québec que l’on peut invoquer même en l’absence d’une clause à cet égard, elle est interprétée de façon restrictive et les tribunaux sont réticents à qualifier un événement de force majeure.
- Les assureurs sont tenus d'indemniser leurs assurés pour les préjudices causés par un cas de force majeure, à moins que la police d’assurance ne stipule expressément et de façon limitative une exclusion relative aux cas de force majeure.
- La pandémie de COVID-19 constitue-t-elle un cas de force majeure en droit québécois? Pour constituer un cas de force majeure, les effets de la pandémie sur les obligations contractuelles devaient être imprévisibles au moment de l’établissement du contrat. Ces effets devaient également être irrésistibles à l’instant où la partie s’apprêtait à exécuter ses obligations contractuelles et ils devaient rendre absolument impossible l’exécution des obligations. De nombreuses obligations contractuelles seront devenues impossibles à exécuter à la suite des décrets d’urgence promulgués par le gouvernement du Québec.
- L’évaluation d’une obligation particulière dans le cadre de la force majeure relève de la nature de la relation contractuelle, ainsi que des effets de la COVID-19 et des décrets d’urgence sur la capacité des parties à remplir leurs obligations. Il faut également déterminer si le contrat liant les parties est régi par une clause de force majeure modifiant les principes juridiques généralement applicables. Les entreprises doivent consulter un conseiller juridique et faire preuve de prudence au moment de déterminer si la COVID-19 les libère de l’exécution d’une obligation contractuelle.
- Étapes pour faire valoir la force majeure au Québec. Une partie qui fait face à l’impossibilité absolue d’exécuter ses obligations en raison de la crise de la COVID-19 doit prendre certaines mesures : aviser l’autre partie de son incapacité d’exécuter une ou plusieurs obligations dès que possible, exécuter les autres obligations contractuelles autant que possible, et prendre d’autres mesures pour atténuer les répercussions de la COVID-19 sur ses activités, tout en fournissant à l’autre partie la preuve de la mise en œuvre de ces mesures.
- Lorsqu’une entreprise invoque l’impossibilité de l’autre partie au contrat d’exécuter ses obligations, la justification des faits à l’appui doit être clairement précisée à l’autre partie. Cette démarche peut s’avérer appropriée lorsque, par exemple, l’entreprise doit verser un paiement anticipé pour des services dont l’exécution est impossible en raison de l’état d’urgence. Le versement d’un paiement partiel peut être adéquat dans certaines circonstances, lorsque la clause de force majeure ne prévoit qu’une libération partielle.
- La proactivité est de mise. Les entreprises doivent examiner leurs contrats pour vérifier si ceux-ci contiennent une clause de force majeure qui prévoit une interprétation plus large que ce qui est défini par la loi ou qui exclut complètement les effets d’un cas de force majeure. Les entreprises doivent également déterminer si leurs obligations contractuelles sont des obligations de garantie. En général, la force majeure ne libère pas une partie d’une obligation de garantie. Les organisations doivent se préparer à atténuer les répercussions de la COVID-19 sur leurs activités et à réagir à ces répercussions pour assurer le respect de leurs obligations contractuelles existantes, tout en déterminant les risques de litige auxquels elles sont exposées.
Dans quelles situations les entreprises peuvent-elles invoquer la force majeure au Québec, dans le contexte de la pandémie de COVID-19?
Contrairement à ce qui prévaut dans la plupart des provinces et territoires de common law, la force majeure est un principe général de droit au Québec qui s’applique aux contrats même en l’absence d’une clause à cet égard. L’article 1470 C.c.Q. définit la force majeure comme un « événement imprévisible et irrésistible », mais cette définition n’est pas obligatoire. Les parties peuvent définir la force majeure de manière plus large ou plus étroite dans leur contrat (en limitant ou en excluant l’application de la force majeure ou en définissant précisément une pandémie ou un autre scénario comme étant un cas de force majeure aux fins du contrat).
Lorsque les parties n’ont pas modifié ou exclu la définition ou les effets de la force majeure dans leur contrat, les conditions suivantes doivent être remplies pour que la force majeure s’applique au Québec :
- L’événement en question doit être imprévisible;
- L’événement en question doit être irrésistible;
- L’événement en question doit être extérieur à la partie en défaut;
- L’événement en question doit entraîner l’impossibilité absolue d’exécution.
Nous abordons ces conditions de façon détaillée plus bas.
1. La force majeure est un événement imprévisible.
L’événement devait être imprévisible au moment de la formation du contrat. Il est peu probable que la résiliation d’un autre contrat (par exemple, une entente d’approvisionnement) soit considérée comme un cas de force majeure si la résiliation d’un tel contrat se produit régulièrement ou dans le cours normal des activités. En revanche, si la résiliation de ce type de contrats ne se produit pas régulièrement, l’événement pourrait être suffisamment imprévisible pour remplir cette condition.
Le moment où le contrat a été conclu est souvent un facteur déterminant. Les perturbations liées à la crise de la COVID-19 étaient probablement imprévisibles dans le cas des contrats conclus l’an dernier, mais pas dans le cas des ententes signées après la date où l’Organisation mondiale de la santé et divers gouvernements au Canada et à l’étranger ont décrété l’état d’urgence.
2. La force majeure est un événement irrésistible.
La force majeure est un événement irrésistible qui rend inopérante toute intervention préventive. L’événement doit également être inévitable et ses effets doivent être insurmontables. Une augmentation de la difficulté ou une hausse du coût d’exécution ne remplissent pas ce critère. À titre d’exemple, une catastrophe naturelle peut être irrésistible, mais les conséquences de celle-ci pourraient être évitées et ne constitueront pas un cas de force majeure dans toutes les circonstances. On s’attend à une préparation aux catastrophes naturelles raisonnablement prévisibles et une partie ne peut pas invoquer la force majeure pour se dégager de sa responsabilité si elle n’a pas pris les mesures raisonnablement nécessaires pour prévenir les effets de l’événement.
Par ailleurs, une décision des pouvoirs publics peut représenter un événement irrésistible.
3. La force majeure est un événement extérieur.
Pour relever de la force majeure, l’événement ne peut être attribuable à la partie qui fait valoir cette notion. La force majeure doit plutôt résulter d’un événement non attribuable à la partie en défaut, indépendant de la volonté de celle-ci, et hors du champ de ses activités normales.
4. La force majeure entraîne l’impossibilité absolue d’exécution.
L’impossibilité d’exécution ne peut être propre à la partie en défaut; sa portée doit être si générale que cette impossibilité s’applique à toute partie se trouvant dans les mêmes circonstances. Certains contrats comportent une clause de force majeure qui modifie ce principe.
La libération est totale dans les situations où le cas de force majeure rend toute exécution impossible. La libération est partielle lorsque la force majeure empêche uniquement l’exécution de certaines obligations contractuelles d’une partie.
Application de ces principes
Bien que l’application de ces principes repose largement sur les faits propres à chaque cas et sur les obligations contractuelles en l’espèce, il est probable que les tribunaux concluent que la COVID-19 constitue un cas de force majeure dans certaines circonstances et qu’ils libèrent par conséquent les parties en défaut de leurs obligations, en tout ou en partie.
Il faut examiner soigneusement les décrets d’urgence émis par le gouvernement du Québec pour déterminer exactement les activités et les services interdits ou restreints et pour confirmer si cette interdiction entraîne l’impossibilité d’exécution des obligations contractuelles. Certaines ordonnances émises par le gouvernement provincial ou une administration municipale qui a déclaré l’état d’urgence seront considérées comme créant la force majeure pour ceux qui y obéissent.
En 2010, la Cour du Québec a libéré les fournisseurs de forfaits de voyage au Mexique de l’exécution d’une partie de leurs obligations en raison de la force majeure résultant du virus H1N1 qui se propageait alors dans ce pays. Les tribunaux ont estimé que l’épidémie virale était imprévisible au moment de l’établissement des contrats1.
Types de contrats et d’obligations
Avant d’invoquer la force majeure, les parties doivent déterminer le type de contrat visé, en particulier si celui-ci n’est pas régi par une clause à cet égard. Le droit québécois comporte des règles particulières relatives à la force majeure régissant certains types de contrats.
Il est également important de vérifier les dispositions particulières du contrat et celles du C.c.Q. pour déterminer si l’obligation contractuelle concernée est une obligation de moyen ou de résultat (les parties pouvant alors être libérées de l’exécution dans un cas de force majeure), ou une obligation de garantie (les parties ne pouvant alors pas, en général, être libérées de l’exécution même lors d’un événement de force majeure).
Il est intéressant de noter qu’un assureur est tenu de réparer le préjudice causé à un assuré par un cas de force majeure, à moins que la police d’assurance ne stipule expressément et de façon limitative une exclusion empêchant la couverture des événements de force majeure.
Établir la preuve de la force majeure et démontrer les effets de celle-ci
Il est difficile de démontrer la force majeure, puisqu’il faut alors prouver l’existence de circonstances exceptionnelles. La partie qui invoque la force majeure assume le fardeau de la preuve; elle doit démontrer que la force majeure est la seule cause de l’incapacité d’exécution et que son créancier n’a pas pu bénéficier de l’exécution en raison de la force majeure. Une partie qui a été mise en demeure ne peut pas être exemptée de sa responsabilité en raison de la force majeure, à moins que le cas de force majeure empêche le créancier de bénéficier de l’exécution de l’obligation.
Lorsque les conditions de la force majeure sont réunies, le débiteur de l’obligation est libéré de l’exécution de l’obligation contractuelle. Étant donné que la rupture de contrat et la force majeure s’excluent mutuellement, un cas de force majeure ne peut entraîner une responsabilité partagée lorsque les conditions sont remplies, bien que la force majeure puisse engendrer une libération partielle ou temporaire des obligations.
Lorsqu’une partie est libérée d’une obligation importante en raison de la force majeure, l’autre partie est libérée de ses obligations corrélatives. Il peut en résulter une obligation de rembourser les sommes payées à l’avance ou d’effectuer un paiement partiel si l’impossibilité d’exécution concerne uniquement une partie de l’obligation.
Conclusion
La force majeure sera souvent invoquée au Québec dans les litiges contractuels relatifs à la crise de la COVID-19, étant donné que, en vertu du C.c.Q., la force majeure est prévue de façon implicite dans la plupart des contrats. Lorsque les parties n’ont pas modifié ou restreint l’application de la force majeure, la partie qui invoque cette notion devra établir qu’il est devenu impossible d’exécuter les obligations en raison d’un événement imprévisible et irrésistible qui est extérieur aux parties elles-mêmes. Bien que la pandémie de COVID-19 sera probablement considérée comme étant un cas de force majeure dans de nombreuses circonstances, il convient d’examiner soigneusement les décrets d’urgence du gouvernement du Québec et la nature de la relation contractuelle des parties pour déterminer exactement les activités et les services interdits ou restreints et si cette interdiction entraîne l’impossibilité d’exécution des obligations contractuelles.
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# Lebrun c. Voyages à rabais, 2010 QCCQ 1877; Béland c. Voyage Charterama Trois-Rivières Ltée, 2010 QCCQ 2842.
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