Les milieux de travail aux temps de la COVID-19 : réduction de la masse salariale, réaction à un diagnostic positif et autres enjeux
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Les 13 et 23 mars, nous avons écrit sur certaines questions incontournables touchant les employeurs dans la foulée de la pandémie de COVID-19. Depuis lors, la crise s’est intensifiée, continue d’évoluer rapidement et présente une myriade de nouveaux enjeux affectant les employeurs. Cette mise à jour axée sur le Québec aborde les obligations des employeurs du Québec en vertu de la législation québécoise sur les normes du travail et du Code civil du Québec, ainsi que les nouveaux enjeux qui revêtent une importance capitale pour les employeurs.
Ce que vous devez savoir
- Réduction du personnel. De nombreux employeurs envisagent des mises à pied temporaires, la réduction des heures de travail et le partage du travail pour faire face aux répercussions financières de la COVID-19 sur leur entreprise et pour se conformer au décret émis par le gouvernement du Québec ordonnant l’arrêt de toutes les activités et tous les services non prioritaires. Dans certaines circonstances, ces décisions pourraient donner lieu à des risques de recours pour congédiement déguisé.
- Vérification de la température avant de se présenter au travail. On ne sait pas exactement comment les organismes de réglementation du Québec (y compris les tribunaux des droits de la personne) interpréteront une pratique des employeurs consistant à prendre la température des salariés avant le quart de travail, en particulier à la lumière des droits concurrents prévus en vertu des lois concernant la protection de la vie privée, les droits de la personne et la santé et la sécurité au travail. Selon la nature des activités de l’employeur, cette pratique peut être acceptable au Québec dans les circonstances, à condition qu’elle soit effectuée d’une manière peu envahissante qui respecte la dignité et la vie privée des membres du personnel.
- Réaction à un diagnostic positif à la COVID-19, etc. Les obligations de l’employeur envers ses salariés varient selon le scénario, à savoir lorsqu’un employé déclare un diagnostic positif, a été en contact avec une personne ayant reçu un diagnostic positif, présente des symptômes s’apparentant à ceux de la grippe ou a été en contact avec une personne présentant des symptômes s’apparentant à ceux de la grippe. En général, cependant, les employeurs doivent adopter une approche prudente lorsqu’ils envisagent la manière de réagir à de telles informations.
- Obligations en matière de santé et de sécurité en contexte de télétravail. Les salariés travaillant de plus en plus souvent à partir de leur domicile, les employeurs doivent s’assurer qu’ils continuent à respecter les obligations qui leur incombent en vertu de la législation sur la santé et la sécurité au travail, notamment l’obligation de signaler les accidents de travail.
Quelles sont les options pour les employeurs qui souhaitent réduire leurs obligations salariales?
Les employeurs de milieux non syndiqués peuvent envisager plusieurs options différentes pour réduire l’ensemble de leurs obligations salariales en vue de réduire leurs coûts pendant la pandémie de COVID-19. Voici quelques-unes des possibilités : (i) le licenciement des salariés; (ii) les mises à pied temporaires; (iii) la réduction des heures de travail des salariés (y compris dans le cadre d’un programme de partage du travail). Nous examinons chacune de ces options plus bas.
Licenciement
En général, les employeurs du Québec peuvent licencier les membres de leur personnel non syndiqué, qui sont à l’emploi pour une durée indéterminée, en tout temps pour des raisons d’ordre économique1, sous réserve des obligations relatives à la remise d’un avis de cessation d’emploi (ou d’une indemnité compensatrice). Il faut évaluer ces obligations, qui peuvent avoir des conséquences importantes, en vertu des lois, des contrats et du droit civil, selon le cas. Les employeurs doivent également veiller à ce que le licenciement ne puisse être perçu comme étant fondé sur un motif de discrimination interdit (y compris le handicap et la situation familiale) ou lié à la demande d’un employé de prendre un congé en rapport avec la COVID-19.
Il convient d’examiner avec une grande prudence les risques / avantages du licenciement des salariés dont le contrat d’emploi est à durée déterminée, puisque la jurisprudence suggère que ces salariés peuvent avoir droit à la rémunération stipulée jusqu’à la fin de la durée.
Les employeurs qui envisagent de licencier un grand nombre de salariés devraient également s’assurer qu'ils respectent les règles applicables en matière de licenciement collectif prévues dans la Loi sur les normes du travail du Québec (la « L.n.t. »).
Mises à pied temporaires
Selon la L.n.t., les employeurs ne sont pas tenus de donner un préavis avant de mettre à pied des salariés non syndiqués pour moins de six mois. Pour les mises à pied de six mois ou plus, la L.n.t. prévoit que l’avis donné correspond à une échelle croissante en fonction de la durée de service continu au sein de l’entreprise. Les exigences en matière de préavis ne s’appliquent pas dans certaines circonstances, notamment si la mise à pied résulte d’un cas de force majeure2. Sous réserve de certaines exceptions, les règles régissant les licenciements collectifs s’appliquent aux mises à pied de six mois ou plus qui touchent dix salariés ou plus d’un même établissement au cours d’une période de deux mois consécutifs.
Sous réserve d’un contrat de travail ou d’une politique à l’effet contraire, les employeurs ne sont pas tenus par la L.n.t. de continuer de payer un salarié ni de maintenir ses avantages pendant une mise à pied temporaire.
Bien que la L.n.t. envisage la possibilité de la mise à pied temporaire d’une partie ou de la totalité du personnel pendant une certaine période sans déclencher une cessation d’emploi, des commentaires et certains cas de jurisprudence suggèrent que, en vertu du Code civil du Québec, une mise à pied temporaire de salariés non syndiqués sans rémunération peut constituer un congédiement déguisé en l’absence (i) d’un droit contractuel à cet égard, (ii) du consentement du salarié à la mise à pied ou (iii) d’un cas de force majeure3.
Dans certaines circonstances, les risques liés à une mise à pied temporaire sans rémunération sont particulièrement élevés. Certains contrats prévoient l’exécution des obligations même en cas de force majeure. Lorsqu’un contrat de travail contient une obligation de garantie, il est possible que l’employeur ne puisse pas invoquer la force majeure pour justifier une mise à pied. Dans le même ordre d’idées, certains exemples jurisprudentiels suggèrent que les salariés dont le contrat est à durée déterminée ne peuvent pas être mis à pied sans salaire avant l’expiration du contrat4.
Les employeurs doivent informer les salariés dès que possible lorsqu’il devient évident que la mise à pied temporaire se transformera en cessation d’emploi. Selon certains exemples jurisprudentiels et commentaires de doctrine, la mise à pied d’un salarié non syndiqué pendant plus de six mois constitue un licenciement, qui engendre des obligations en matière d’avis de cessation d’emploi (ou d’indemnité compensatrice) et peut déclencher les règles de licenciement collectif prévues par les lois sur les normes du travail applicables selon le nombre de salariés touchés.
L’article 82(3) de la L.n.t. stipule que « l’avis de cessation d’emploi donné à un salarié pendant la période où il a été mis à pied est nul de nullité absolue, sauf dans le cas d’un emploi dont la durée n’excède habituellement pas six mois chaque année en raison de l’influence des saisons ». L’employeur devra plutôt verser au salarié mis à pied une indemnité tenant lieu de préavis.
Dans le contexte actuel difficile, les employeurs doivent évaluer les risques et (ou) les avantages au moment de décider s’il faut effectuer une mise à pied et solliciter des conseils juridiques adaptés aux particularités de leur situation.
Réduction des heures de travail et partage du travail
Au lieu d’effectuer un licenciement ou une mise à pied (ou conjointement avec ces mesures), certains employeurs envisagent d’exiger des salariés qu’ils travaillent des heures réduites pour pallier les conséquences financières de la COVID-19. La modification unilatérale importante des heures de travail d’un salarié, et donc de la rémunération globale de celui-ci, peut donner lieu à une réclamation pour congédiement déguisé.
Le gouvernement du Canada a mis en œuvre le programme Travail partagé, qui permet aux employeurs admissibles d’atténuer les effets de la réduction des heures de travail pour leurs employés. Pour de plus amples détails sur ce programme, y compris sur la marche à suivre pour présenter une demande, visitez le site Web du gouvernement du Canada.
Les employeurs peuvent-ils vérifier la température des salariés avant de leur permettre d’entrer sur le lieu de travail?
Les employeurs envisagent de plus en plus de demander à leurs salariés de se soumettre à une vérification de température avant l’entrée sur le lieu de travail. Au Québec, la législation sur les droits de la personne et la protection de la vie privée impose des restrictions quant à la capacité d’un employeur à exiger des examens ou des tests médicaux. À moins que l’examen ou le test ne soit raisonnablement nécessaire pour évaluer l’aptitude au travail du salarié, la vérification obligatoire de la température des salariés n’est normalement pas permise. En revanche, la législation sur la santé et la sécurité au travail exige des employeurs qu’ils prennent des mesures raisonnables pour assurer un milieu de travail sain et sécuritaire.
On peut soutenir que la prise de température des salariés peut s'avérer raisonnable dans les circonstances, voire nécessaire, pour permettre à l’employeur de remplir ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail. D’autre part, de nombreux individus atteints de la COVID-19 ne présentent pas de fièvre, de sorte que la vérification de la température peut s’avérer inefficace pour dépister les cas d’infection. Il convient de concilier les questions juridiques concurrentes avant de décider unilatéralement de vérifier la température des salariés. Les employeurs qui décident de prendre la température de leurs salariés doivent, entre autres, le faire d’une façon très peu invasive qui respecte la dignité et la vie privée du personnel.
Obligations de l’employeur à l’égard des salariés concernant le diagnostic positif, les symptômes, ou les contacts étroits
Les obligations d’un employeur qui reçoit des informations relatives à un diagnostic positif ou à une exposition à la COVID-19 varient en fonction des renseignements communiqués par le salarié concerné, ainsi que de la nature du lieu de travail. En général, nous suggérons aux employeurs d’adopter une approche prudente – qui respecte le droit à la vie privée des salariés – lorsqu’ils envisagent diverses questions, comme la divulgation à d’autres membres du personnel, la fermeture des bureaux, les directives de travail à distance, etc. Toutefois, les employeurs devraient demander un avis juridique sur ces questions, car l’approche et les obligations de l’employeur peuvent varier en fonction de la nature du lieu de travail, des renseignements divulgués, etc.
- Si l’employeur apprend qu’un salarié a été diagnostiqué positif à la COVID-19 ou en contact étroit avec une personne ayant reçu un diagnostic positif, il doit envisager la prise des mesures suivantes :
- Suggérer au salarié de consulter un médecin (si ce n’est pas déjà fait).
- S’assurer que le salarié ne se présente pas au lieu de travail : (i) dans le cas d’un salarié qui a reçu un diagnostic positif, jusqu’à ce qu'il soit autorisé à le faire par un professionnel de la santé; et (ii) dans le cas d’un salarié qui a été en contact étroit avec une personne ayant reçu un diagnostic positif, pendant au moins 14 jours depuis le dernier contact du salarié avec cette personne.
- Déterminer, si possible avec le salarié, quels membres du personnel ont pu être en contact avec lui et : (i) informer ces membres du personnel qu’un « collègue » a été diagnostiqué positif à la COVID-19 ou en contact étroit avec une personne ayant reçu un diagnostic positif; et (ii) exiger de ces membres du personnel qu’ils ne se présentent pas au travail pendant au moins 14 jours à compter de leur dernier contact avec le collègue concerné.
- Examiner quelles autres mesures sont appropriées dans les circonstances, en tenant compte de la configuration du lieu de travail et des renseignements qui ont été divulgués – voici des exemples de mesures : fermeture intégrale du lieu de travail; travail à distance pour le personnel affecté à un certain étage; nettoyage supplémentaire de toutes les surfaces fréquemment touchées; etc.
Les employeurs doivent prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et le bien-être physique de leurs salariés. À cette fin, il faut prendre des mesures pour déterminer, gérer et éliminer les cas de COVID-19 au sein du lieu de travail. Il importe de souligner que les inspecteurs de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail peuvent exiger la fermeture d’un lieu de travail jusqu’à ce que l’employeur prenne des mesures correctives, dans le cas où le lieu de travail serait jugé dangereux en raison de risques liés à la COVID-19.
- Lorsque l’employeur apprend qu’un salarié présente des symptômes ou a été en contact avec une personne présentant des symptômes s’apparentant à ceux de la grippe, il doit suggérer au salarié de consulter un médecin et, si le salarié présente des symptômes de la grippe, lui demander de quitter le bureau pour consulter un professionnel de la santé. Il peut également être approprié, selon les circonstances :
- de demander à un salarié qui présente des symptômes de la grippe de ne pas se présenter au travail pendant 14 jours;
- d’informer les autres salariés du problème et (ou) de prendre d’autres mesures (y compris celles décrites plus haut).
Nous notons que, bien que l’employeur ne soit pas tenu de signaler les cas à l’Agence de la santé publique du Canada, lorsqu’un salarié déclare avoir des symptômes du virus, il doit l’encourager à faire ce signalement.
Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité à l’égard des salariés qui travaillent à domicile?
En vertu de la législation provinciale sur la santé et la sécurité au travail, les employeurs ont l’obligation de veiller au respect de certaines exigences en matière de santé et de sécurité en milieu de travail et sont tenus de signaler les accidents qui se produisent sur le lieu de travail. Au Québec, les principales lois sur la santé et la sécurité au travail ne contiennent pas de dispositions traitant précisément du travail à distance. Cependant, les employeurs de salariés qui travaillent à domicile sont tenus aux mêmes obligations en matière de santé et de sécurité que l’ensemble des employeurs.
Avec un nombre croissant de salariés travaillant à distance en raison de la COVID-19, la détermination des obligations des employeurs en contexte de télétravail est plus complexe. Toutefois, les employeurs ne doivent pas perdre de vue ces obligations et devraient demander des conseils juridiques personnalisés.
Une situation en évolution
Comme la pandémie de COVID-19 ne cesse d’évoluer, les renseignements fournis dans ce bulletin sont susceptibles de changer. Nous recommandons donc aux employeurs de solliciter un avis juridique pour les enjeux abordés dans ce bulletin et pour les autres questions en matière d’emploi dans le contexte de la COVID-19.
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1 Le licenciement pour des raisons d’ordre économique est une mesure par laquelle l’employeur met fin définitivement à un contrat de travail pour des raisons d’ordre économique. Le recours prévu à l’article 124 de la L.n.t., qui protège le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise contre le congédiement sans une cause juste et suffisante, ne s’applique pas aux licenciements pour des raisons technologique ou économique.
2 Article 82.1(4) L.n.t.
3 Par exemple, Stepanian c. Réseaux sans fils Calamp inc., 2018 QCCS 611 et Mercure c. Bell Nordic inc., 2019 QCCS 280.
4 Groupe Lelys inc. c. Lang, 2016 QCCA 68, paragr. 19.
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