Les risques de perte en cas de TEF frauduleux : la CSC se prononce
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Le jeudi 10 décembre 2020, la Cour suprême du Canada (CSC) a publié une brève décision confirmant à l’unanimité que, en cas de fraude par hameçonnage, le client d’une banque assume les risques de perte lors de l’exécution, par l’institution financière, d’un ordre de paiement électronique du compte du client vers le compte d’un tiers1. Cette décision reprend le raisonnement de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec, tout en précisant que le résultat n’aurait pas été différent si le solde du compte avait été positif. Dans cette affaire, le compte du client affichait un solde débiteur.
La décision
Sollio Groupe Coopératif, anciennement La Coop Fédérée, (« La Coop ») était cliente de la Banque Nationale du Canada (la « Banque »). La Coop a été victime d’une « fraude par hameçonnage » qui a entraîné l’exécution par la Banque d’un ordre de paiement frauduleux à un arnaqueur. En suivant des instructions, la Banque a débité près de 5 M$ US de la marge de crédit de La Coop, pour transférer cette somme, qui n’a jamais été recouvrée, au crédit de l’arnaqueur dans son compte bancaire en Chine. La Coop a présenté une demande d’indemnisation au titre de deux polices d’assurance. Liberty International Underwriters (« Liberty ») a payé à La Coop la limite de la garantie prévue, soit 1 M$ CA, mais la Compagnie d’assurance générale Co-operators (« Co-operators ») a nié couverture en citant plusieurs motifs, indiquant notamment que la Banque devrait ultimement assumer la perte en vertu de la Loi sur les lettres de change. Cet argument soulève la question de savoir si un transfert de crédit par voie électronique (« transfert électronique de fonds » ou TEF) constitue une lettre de change ou un chèque.
La Cour d’appel a examiné en profondeur les différences entre un chèque et un TEF, et a conclu que le TEF ne constitue pas une lettre de change, confirmant ainsi l’opinion prépondérante de la doctrine québécoise. Le TEF est plutôt qualifié de mandat qui n’est pas régi par un régime législatif précis, mais assujetti aux pratiques du secteur bancaire et aux modalités contractuelles particulières entre la banque et son client. Dans ce cas, l’accord entre la Banque et La Coop prévoyait que le client assumait le risque de toute responsabilité résultant des instructions bancaires électroniques qu’il donne à la Banque. Il est intéressant de souligner que la conduite de la Banque par rapport au préjudice n’était pas en cause. Lors de l’instance, les parties n’ont pas contesté l’attribution de responsabilité ayant rendu possible cette fraude.
En outre, Co-Operators soutenait que la somme détournée n’appartenait pas à La Coop, mais à la Banque, et que celle-ci aurait donc dû assumer les risques de perte. La Cour d’appel a statué que la propriété de la somme prêtée par la Banque à La Coop incombe à La Coop dès le moment où le montant est débité de sa marge de crédit, tout comme les risques de perte, en vertu de l’article 2327 du Code civil du Québec. Ainsi, La Coop assume les risques de perte. Au paragraphe 110 des motifs de son jugement, la Cour d’appel indique que le client assume les risques de perte si le solde du compte est débiteur, mais que la banque assume les risques de perte lorsque le solde du compte est créditeur.
L’arrêt de la Cour suprême du Canada, rendu en deux alinéas, a rejeté l’appel, en substance, pour les motifs de la Cour d’appel du Québec, mais a indiqué, sans énoncer ses motifs, que le client assume les risques de perte, et ce, que le solde de son compte soit au crédit ou au débit. Il pourrait s’avérer nécessaire pour les tribunaux d’élaborer dans le futur les motifs déterminant que le résultat est le même pour les comptes au solde débiteur ou créditeur, mais le bilan est clair.
Conclusion
L’aboutissement de cette affaire de droit civil est conforme aux principes de longue date de la common law. Les deux régimes juridiques, le droit civil et la common law, qualifient depuis longtemps les dépôts bancaires comme de l’argent prêté par le client à la banque, créant une dette de la banque envers le client, dont le montant est réduit à chaque retrait autorisé. L’autorité anglaise à cet égard, la décision Foley c. Hill (1848), 2 H.L.C. 28, 9 E.R. 1002, est suivie au Québec depuis au moins le jugement rendu dans l’affaire Corporation Agencies Ltd. v. Home Bank of Canada, [1925] R.C.S. 706, confirmé par [1927] A.C. 318 (C.P.). En common law, la distinction entre le transfert de crédit et le chèque est faite dans Tenax Steamship Co Ltd c. Reinante Transoceanica Navigacion SA, [1973] 1 WLR 386 (QBD). L’attribution au client, plutôt qu’à la banque, des risques de perte résultant du stratagème frauduleux d’un tiers favorise le renforcement des procédures de sécurité du client.
Pour conclure, l’arrêt de la Cour suprême a le mérite de la simplicité et apporte des précisions à toutes les parties concernées par des transferts électroniques de fonds. Il fournit des éclaircissements utiles en droit et souligne la nécessité d’une vigilance accrue à une époque où les affaires sont de plus en plus menées à distance.
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1 Cie d’assurance générale CO-Operators c. Sollio Groupe Coopératif, 2020 CSC 41, confirmant l’arrêt 2019 QCCA 1678.
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